Je t’aime, moi non plus…
Un roman épistolaire composé de quatre lettres.
La lettre à la mère. Elle est morte et le narrateur règle ses comptes. Tout y passe : la domination de la mère sur le père, son désintérêt envers ses filles, son non-amour pour son dernier fils et l’adoration du fils aîné. Celui à qui on passe tout et qui finalement deviendra une pâle copie du père. Il lui dit sa haine mais il lui dit aussi son amour.
La lettre de l’amant. Un amant de passage a un coup de foudre pour le narrateur. Il est prêt à tout pour vivre cette histoire d’amour avec cet homme rencontré par hasard et avec lequel il a des points communs. Il sera abandonné brutalement, sans explications. La blessure restera ouverte à jamais.
Lettre du narrateur à son compagnon. Il l’a rencontré au Maroc, il avait dix-sept ans, il était pauvre. Avec ce Français plus âgé, il fait l’apprentissage de la sexualité libre, sans honte et sans tabou. Mais il y avait un prix à payer : venir en France pour échapper à la pauvreté et surtout devenir un autre, gommer sa culture.
Lettre de l’ami d’enfance. Lui n’a pas eu la chance de partir en France avec son Pygmalion. Il est resté au Maroc à la merci de l’homme qui paie ses services et l’humilie. Sensation d’étouffement, humiliation, désespoir encore.
La détresse sous quatre angles différents : l’enfant mal aimé, rejeté, l’amoureux abandonné, celui qui veut redevenir lui-même, revenir en arrière et qui sait que c’est impossible, le meilleur ami qui a tout perdu.
Bon, on l’aura compris, Celui qui est digne d’être aimé est un roman grave. C’est la description des rapports dominant-dominé, du sentiment de supériorité de l’un sur l’autre, jusqu’au moment où le dominé se rebelle même s’il doit en payer le prix.
Abdellah Taïa dit qu’il serait incapable d’écrire un roman « feel good » mais il écrit magnifiquement le désespoir de ses personnages. Un roman court mais intense. Abdellah Taîa c’est un peu le Lionel Duroy de l’autre côté de la méditerranée.
Editions Points – 2018 – 120 pages